Changement de ton aux Affaires étrangères : c’est une spécialiste de la « ploutocratie » qui dialoguera désormais avec les gouvernements, y compris celui de Donald Trump. À l’opposé du ton posé et discret de Stéphane Dion, Chrystia Freeland n’a pas particulièrement la langue dans sa poche. Persona non grata en Russie — elle a été bannie du territoire en 2014 par Vladimir Poutine lui-même —, la nouvelle ministre est connue pour ses positions dénonçant les inégalités croissantes entre les mégariches et la classe moyenne.
Née en Alberta en 1968, Chrystia Freeland a d’abord mené une imposante carrière de journaliste qui l’a fait rayonner en Europe. Forte d’un diplôme en littérature et histoire russes de Harvard et de la prestigieuse bourse Rhodes qui lui a permis d’aller à l’Université d’Oxford en études slaves, elle fait ses premières armes comme journaliste en travaillant pour le Financial Times, le Washington Post et The Economist depuis l’Ukraine où elle est basée.
Cette polyglotte qui parle cinq langues, dont le russe et l’italien, occupe ensuite divers postes importants au sein de la rédaction du Financial Times. Elle est directrice de l’information à Londres, travaille au bureau de Moscou, sert comme correspondante en Europe de l’Est et finit par assumer le poste de rédactrice en chef de l’édition week-end et du site Internet de ce même journal. Après un bref passage de trois ans comme éditrice adjointe au Globe and Mail de 1999 à 2001, elle retourne au Financial Times, où elle endosse certaines des plus hautes fonctions.
À l’été 2013, elle vit aux États-Unis avec ses trois enfants et son mari, Graham Bowley, un auteur britannique et reporter au New York Times, et occupe un poste de direction au sein de Thomson Reuters lorsqu’elle décide de faire le saut en politique. Bob Rae ayant quitté Toronto-Centre, elle gagne l’investiture et porte les couleurs du Parti libéral lors de l’élection complémentaire dans cette circonscription. D’abord dans l’opposition, elle devient finalement ministre du Commerce international lorsque Justin Trudeau prend le pouvoir en 2015, élue cette fois dans la circonscription de University-Rosedale.
Sans être tombée dedans comme Obélix dans la potion magique, Chrystia Freeland a néanmoins toujours baigné dans la marmite de la politique. Son père était un agriculteur et avocat membre du Parti libéral, sa mère, avocate aussi, s’est déjà présenté pour le Nouveau Parti démocratique dans une circonscription d’Edmonton, et sa grande tante était l’épouse du député fédéral conservateur Ged Baldwin, considéré comme le père — et le grand-père — de la Loi sur l’accès à l’information.
Des positions tranchées
L’écriture étant au coeur de sa vie, Chrystia Freeland a publié deux livres, l’un en 2000 sur la seconde révolution russe et l’autre en 2012 intitulé Ploutocrates : l’essor des nouveaux super-riches planétaires, qui lui a valu un prix littéraire. Dans cet essai-choc devenu succès de librairie, elle plaide pour un capitalisme qui ne doit pas subir l’emprise des mégariches, totalement « déconnectés », et démontre que les inégalités de revenus ne cessent d’augmenter partout sur la planète. En 2013, elle donne une conférence TED Talk sur le sujet qui a été vue près d’un million de fois.
En 2014, voyant que le Canada de Stephen Harper a imposé des sanctions à la Russie qui poursuivait son avancée militaire en territoire ukrainien, Vladimir Poutine rétorque en bannissant de son territoire 13 Canadiens, dont des sénateurs et députés de divers partis. Sur la liste figure Chrystia Freeland, qui, loin d’être intimidée, déclare sur Twitter que malgré tout son amour pour la langue et la culture russes, « c’est un honneur d’être sur la liste de sanctions de Poutine ».